Marc DELPOUX : un français en Italie
Depuis cette saison, Marc DELPOUX est l’entraîneur du Club de rugby Italien de Calvisano actuellement deuxième du championnat. Il a accepté de présenter sa vision de l’évolution du rugby transalpin et de sa vie à Calvisano pour le site de TECH XV.
Présentation de Marc DELPOUX
Marc DELPOUX est né le 11 Novembre 1963 à Narbonne. Aujourd’hui il est marié avec deux enfants.
Il arrive au RCNM en minimes et fait ses débuts avec l’équipe première en 1981. Onze années plus tard il ressort avec un palmarès assez flatteur :
trois Challenge Yves du Manoir (1989,1990 et 1991)
une Coupe de France
deux demi-finales du Championnat (1989 et 1991)
En 1992 il quittera les couleurs « orange et noir » pour quatre saisons à l’USAP où il finira sa carrière en 1996 avec un Challenge Yves du Manoir en plus en 1994 en tant que capitaine.
Il débutera sa carrière d’entraîneur en décembre 2003 au Racing Club de Narbonne au côté de Jean François BELTRAN avant de partir en 2006 en direction de l’un des plus prestigieux club d’Italie : Calvisano.
Le rugby italien
Comment est organisé le rugby italien ?
Le championnat italien compte une élite de 10 clubs dont fait parti Calvisano. Le niveau est certes moindre qu’en France mais on note tout de même une certaine amélioration à l’image de l’équipe nationale (malgré sa défaite assez lourde face à la France).
La particularité du rugby italien est l’obligation de constituer une feuille de match de 22 avec un nombre limité d’étrangers (en dehors des différents accords européens, de Cotonou,...).
La réglementation fonctionne sur le groupe de 22 joueurs pour les matchs
Sur la composition d’équipe obligation de :
12 italiens formés en Italie dont 1 de moins de 21 ans (un joueur ayant été licencié en – de 19 ans en Italie est considéré comme formé en Italie)
5 véritables étrangers
5 italiens de formations étrangères
Ceci s’avère très positif pour la protection des italiens et fait ressortir la volonté des instances du rugby italien de promouvoir la formation.
En revanche cela est très handicapant pour la qualité du championnat et amène à une certaine inégalité dans les matchs de HCUP. En effet, avec un tel fonctionnement les bancs de touche italiens sont faibles et les équipes en difficulté en fin de match. Ceci est amplifié par la fuite des jeunes talents vers les championnats français [1]et anglais plus valorisant et offrant des opportunités financières plus avantageuses.
Exemple des matchs de Calvisano / Paris et Calvisano / Sale en HCUP avec un effondrement en fin de match.
Attention, les clubs sont des sociétés et les rugbymen italiens touchent un salaire en faisant du rugby leur activité unique ou principale, ils sont considérés comme professionnel[2].
Y a t il des similitudes avec le championnat français ?
Le Championnat italien tout comme le championnat français, est à 2 vitesses. 4 équipes qui se battent pour le haut de tableau et le reste pour survivre avec moins d’exposition.
Le problème des internationaux est similaire à celui des gros clubs français. Durant les périodes internationales, les gros clubs sont fortement handicapés par le départ de leurs internationaux. Du coup, durant le tournoi, un club comme Calvisano fournit 5 joueurs pour l’équipe fanion d’Italie et 5 en moins de 21 ans. Ceci amène à un déficit de joueurs pour la Coupe d’Italie.
Comment évolue t il ?
En 10 ans le rugby italien a connu une forte augmentation du nombre de licenciés mais n’ayant que très peu d’impacte sur le rugby d’élite.
On ne compte effectivement que 51 joueurs dans l’élite, réellement formées en Italie
A quoi est du ce décalage ?
La Rugby est fortement concentré territorialement dans le Nord de l’Italie, avec une profusion de terrains et de jeunes jouant au rugby, un peu à l’image du Sud Ouest de la France.
Les Clubs sont des Sociétés appartenant à des actionneurs propriétaires des installations, stade, matériels,… Le financement se fait essentiellement par du sponsoring et très peu par les régions. Les Clubs sont entièrement en gestion privée.
Calvisano a un budget d’environ 3 Millions d’euros, loin des 15 millions du Stade Toulousain, pour en fonctionnement qui se veut similaire, et pourtant, c’est l’un des plus gros budget.
Un des gros handicap du rugby italien reste le peu de public pour les matchs : 1500 personnes en moyenne à Calvisano. Un gros travail de communication et de promotion reste à faire, peu évident au vu du conservatisme des principaux actionnaires des clubs, qui souhaitent garder une certaine maîtrise.
Pourtant les retransmissions télévisuelles sont importantes (par SKY avec pour Calvisano 1 match sur 3 diffusé !!!)
Une grosse vie économique s’est développée autour du rugby sans que cela le rende vraiment populaire, certainement du à cet aspect conservateur des principaux actionnaires du rugby italien !!!
Et au niveau financier ?
La stabilité financière du rugby italien reste très aléatoire. Même si les gros clubs ont su asseoir un projet financer cohérent et solide, les clubs de bas de tableau ont des situations souvent très problématiques. Certains clubs sont parfois dans l’incapacité de payer les joueurs en fin de saison (même si cela reste rare).
La gestion des compétitions restent parfois très ambiguës et représente un baromètre de l’amateurisme dans lequel se trouve encore le rugby italien. Les exemples types sont :
les règlements du championnat qui peuvent changer du jour au lendemain
le changement du nombre d’étrangers évoluant parfois en fonction du besoin de certains clubs et des période de la saison (périodes internationales)
le changement des dates de matchs trois jours avant
les problèmes médicaux, pas de médecin attitré mais un bénévole qui est là quand il peut.
C’est à l’image du rugby français, il y a 20 ans, avant le professionnalisme.
Marc et Calvisano
Pourquoi avoir choisi Calvisano ?
Après 3 année à Narbonne, j’ai eu envie d’évoluer vers plus de responsabilités afin d’acquérir une autre envergure. J’ai tenté le pari en Italie avec un poste d’entraîneur principal, ce que je n’aurais pas eu à Narbonne. Il me reste encore un an de contrat au terme de la saison.
Ce poste d’entraîneur chef ne m’empêche pas d’avoir une très bonne relation avec les joueurs qui m’aident beaucoup à me sentir bien et n’hésitent pas à m’inviter régulièrement à manger, et me font découvrir les plaisirs culinaires de l’Italie.
Cependant, et malheureusement même en Italie l’entraîneur n’est pas à l’abris du licenciement. Malgré les bons résultats, l’entraîneur reste toujours conscient que cela peut s’arrêter du jour au lendemain. Pour preuve, lors de la saison 2005/2006 trois entraîneurs français ont été limogés en Italie !!! Cela me fait relativiser sur ma condition en Italie, même si elle est plutôt positive actuellement[3].
Dans quelles conditions êtes-vous parti ?
Je suis parti seul. Ma femme et mes 2 enfants sont restés sur Narbonne chaqu’un faisant les aller/retour afin de nous voir toutes les deux semaines environ, ce qui n’est jamais très facile.
Comment avez-vous été accueilli ?
Calvisano est une petite ville de 5000 habitants proche de Parme. Ceci a facilité l’adaptation avec une grande disponibilité des italiens. Cela aurait été plus difficile dans une grande ville où l’anonymat aurait été fortement handicapant, surtout quand on est seul.
J’ai été très bien accueilli. Les personnes me connaissaient déjà avant mon arrivée et m’ont aidé à me sentir bien. Aujourd’hui je mange même dans la cuisine avec les cuisiniers de certains restaurants !
Mais l’éloignement et le manque d’activités durant les périodes creuses sont parfois un peu dures à gérer. Je « tourne en rond » lors des périodes moins intenses comme pendant le Tournoi des 6 Nations !
Qu’elles sont vos conditions de travail ?
A Calvisano, tous (staff et joueurs) ont un salaire, une maison dans la ville et une voiture du partenaire du club.
Une réunion tous les lundis avec le Président est imposée. Mais attention, ce n’est pas pour autant que cela est synonyme de pression sportive surtout avec les résultats que connaît le club actuellement. La pression est plutôt extra sportive. Les italiens jouent beaucoup sur la perception du club par le monde extérieur. Pour eux les apparences sont importantes, les gestion intérieure moins. Ainsi le Président mettra plus l’accent sur le port du jogging du club que sur le match du week-end.
Ceci est un trait de caractère de ceux qui gèrent le rugby en Italie. On parle du SI NO FORSI (Oui, non, peut-être), grande expression souvent reprise.
Installation du Club de Calvisano
La langue a-t-elle été une barrière à votre arrivée ?
Je parlais très peu italien à mon arrivée mais grâce à mon intégration je possède un niveau de langue honorable. Cela vient certainement de la similitude avec le patois français et Narbonnais mais surtout de la disponibilité des habitants de Calvisano qui ont pris le temps de m’apprendre l’italien. Un appui sur mon adjoint DECARLI, qui a joué au Stade Français et entraîneur des avants de Calvisano, m’a permis de passer le cap de la langue au début sans trop de problème. C’est souvent le plus dur afin d’instaurer un climat de confiance et de relation avec les joueurs.La culture du sud de la France m’a aidée à m’intégrer plus facilement.
[1] 33 italiens en TOP 14 et 6 en Pro D2 (source Ligue Nationale de Rugby)
[2] Le rugby italien fonctionne comme en France avec une Fédération (en lien très étroit avec le Comité Olympique National Italien) et une Ligue professionnelle
[3] Calvisano actuellement 2e du Championnat italien